L’histoire de Main Forte et de l’inclusion
n’est pas un long fleuve tranquille

Naissance d’une utopie

En 2007, se sont regroupés quelques citoyen.nes.. Certains d’entre eux/elles, adolescents et parents d’adolescents en situation de handicap, avaient été confrontés à la lourdeur et à l’enfermement de ce que l’on appelle la « prise en charge en établissement ». Ils/elles souhaitaient réfléchir à la forme concrète que pourrait prendre une vie indépendante et autonome pour des jeunes adultes en situation de handicap, que la société destinait alors à une vie en institution. Ils ont constitué l’association Main-Forte. Ils venaient d’horizon différents et n’étaient pas tous concernés directement par le handicap mais chacun rêvait d’une société plus intégrative.

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Les sources d’inspiration

Vivre dans son propre logement en étant aidé, et profiter, comme tout un chacun, des opportunités offertes par l’environnement paraissaient un idéal… Des lectures, et des contacts divers, à travers l’Europe, nous avaient déjà permis de comprendre que ce qui pouvait paraître une utopie ici, était devenue réalité quelque part en Hollande, en Suède, etc. Mais la question de l’intégration des personnes en situation de handicap dans ces pays là avait déjà une longue histoire que ne connaissait pas la France. Il s’est vite avéré qu’il n’était pas possible d’importer chez nous des solutions « clés en main » étrangères. Puis nous avons découvert l’expérience pionnière initiée par l’association des Traumatisés Crâniens de Gironde depuis 1999. Leur objectif était « de proposer à des personnes traumatisées crâniennes un lieu de vie agréable et à taille humaine qui deviennent leur « chez soi« , un lieu où soient respectées leur dignité, leur intégrité et leur sécurité ». Cela s’appelait les « maisons des quatre ». Ces maisons accueillaient en colocation quatre personnes accompagnées par une « maîtresse de maison » chargée de la sécurisation et de l’organisation interne de la vie collective. La participation à des activités diverses étaient, par ailleurs, proposées par l’association dans un autre lieu. Si c’était possible en Gironde pourquoi pas dans les Côtes d’Armor…

Une loi qui change tout

Nous étions en 2007 et en 2005 avait été votée une loi relative au handicap que peu connaissait vraiment à l’époque. Or cette loi consacre le principe du droit à compensation pour la personne handicapée afin de « faire face aux conséquences de son handicap dans sa vie quotidienne ». La prestation de compensation du handicap (PCH) vise à prendre en charge les surcoûts liés au handicap en particulier le financement d’une aide à domicile. Si l’accompagnement était pris en charge à hauteur des besoins, désormais une vie autonome dans un domicile indépendant devenait possible.

L’ADN du projet

L’objectif étant de proposer un mode de vie le plus « ordinaire » possible, l’association « Main-Forte », porteuse du projet, a souhaité se faire la plus « discrète » possible. Elle ne serait pas propriétaire de l’habitat, elle ne serait pas employeur du personnel accompagnant, elle ne proposerait pas d’animations spécifiques. Il s’agirait donc d’avoir recours à une location (idéalement auprès d’un bailleur social), à un prestataire de service à domicile (idéalement spécialisé dans le domaine du handicap » )et aux propositions d’activités disponibles dans l’environnement. L’association Main-Forte serait juste facilitatrice et vigilante quant à la dimension intégrative de l’expérience.

Un projet d’implantation rurale avorté

L’attachement de plusieurs des membres du Conseil d’Administration à la vie rurale, et plus spécifiquement, au Centre-Bretagne nous a fait nous tourner vers la commune de Mellionnec où l’opportunité de la mise à disposition d’un terrain pour une construction nous a été proposée. Nous y comptions aussi de solides soutiens. Nous avions pris attache parallèlement avec le bailleur social « Côtes d’Armor Habitat » et commencions à élaborer ensemble un projet de construction adaptée: une maison comportant quatre chambres et une pièce supplémentaire pour les activités communes.

Plusieurs raisons nous ont fait renoncer à une installation à la campagne: l’éloignement des équipements collectifs (piscine, médiathèque, etc…), la difficulté des transports mais surtout, la faiblesse des ressources disponibles: insuffisance de personnel accompagnant pouvant intervenir, et difficile mobilisation des énergies associatives déjà amplement mobilisées par d’autres projets. L’association Main-Forte a donc décidé d’implanter le projet à Lannion.

La colocation en habitat collectif

Nous avons vite compris que la mise en œuvre du projet, co-construit avec le bailleur social, qui comprenait quatre logements indépendants, plus une pièce d’activités intégré dans un petit collectif du centre-ville de Lannion ne pourrait se réaliser avant plusieurs années. Or le souhait des personnes en situation de handicap, intéressées par sa réalisation, était de sortir de l’institution et d’accéder à une vie indépendante le plus rapidement possible. Nous avons donc décidé de chercher un logement disponible immédiatement dans le parc privé. Nous avons opté pour trois logements contigus, au rez-de- chaussée, situés à la périphérie de Lannion proches de commerces, et comprenant quatre chambres, une salle à manger et une salle d’activités communes. Après de longues années de vie en établissement, la dimension collective rassurait chacun.e. Parallèlement, chacun.e a fait valoir ses droits individuels à la Prestation de Compensation en aide humaine de façon à être accompagné.e le mieux possible. Deux heures et demi par jour et par personne ont été mutualisées pour permettre la mise en place d’une vieille de nuit. Les repas étaient pris en commun et ces temps d’accompagnement étaient donc également mutualisés. Ainsi une présence constante était assurée sur le site. En Octobre 2010, Jasmine, Glen, Elwood et Hélène emménageaient. L’accompagnement était assuré par les auxiliaires de vie d’APF France Handicap avec laquelle nous avions élaboré l’organisation des interventions. Pour faciliter l’installation, l’association a avancé le coût de l’achat du mobilier et des appareils ménagers collectifs, charge aux locataires de le lui rembourser progressivement. L’association réglait également loyers, charges, frais d’alimentation et d’entretien. Chaque locataire remboursait régulièrement, de manière équitable à l’association, l’ensemble de ces dépenses. Pour faciliter les déplacements l’association a acheté et mis à disposition un véhicule TPMR (conduit par les auxiliaires de vie). Les utilisateurs s’acquittait du paiement des déplacements selon un barème kilométrique. La régulation de l’ensemble des dépenses étaient assurée par une administratrice de Main-Forte. Des rencontres de régulation-coordination entre Main-Forte et l’APF étaient organisés régulièrement.

Le passage à l’habitat et au projet de vie individuel

Le projet de co-construction, avec le bailleur social, d’un bâtiment adapté a subi des aléas indépendants de la volonté des acteurs et a pris un retard considérable. La vie en colocation s’est révélée progressivement pesante pour les locataires qui aspiraient à un logement individuel. L’association a donc demandé au bailleur social de trouver une solution sans attendre la réalisation du projet définitif.

C’est ainsi qu’en septembre 2019, les locataires (entre-temps Elwood étaient parti et avait été remplacé par Anthony) ont intégré quatre pavillons individuels du quartier de Saint-Ugeon à Lannion. Progressivement, chacun.e s’est détournée de la vie collective obligée. Désormais, plus de repas en commun si ce n’est quand on décide d’inviter le ou les autres, plus de déplacement collectif dans le bus de l’association puisque chacun.e s’est doté.e d’un véhicule personnel. Jasmine est partie et a été remplacée par Nicolas. Deux des locataires ont recours à des auxiliaires de vie en emploi direct, les deux autres ont toujours recours au prestataire APF.

Le développement des activités sociales

Main-Forte a été reconnue structure porteuse d’habitat inclusif d’abord par l’ARS et ensuite par le Conseil Départemental. Grâce à leurs financement successifs, depuis 2020, Main Forte emploie, à mi-temps, une salariée « chargée du développement des activité sociales ». Sa fonction n’est pas de proposer des animations dédiées mais de mettre en relation, les envies, les souhaits de chacun.e. des locataires avec les possibilités de l’environnement et de faire en sorte que l’inscription de chacun dans ces activités soit sereines et pérennes.

Main Forte hors les murs

Depuis ses débuts, l’action de Main Forte ne se résume pas à la mise en œuvre et à la gestion d’un habitat inclusif qu’elle considère comme une expérience et un moyen. Elle a toujours œuvré, plus largement, pour l’inclusion des personnes handicapées dans la vie de la cité. A ce titre, elle aide à l’essaimage d’expériences d’habitats inclusifs portées par d’autre citoyens ou groupes de citoyens, ici ou ailleurs. Elle conseille quant à l’accès aux droits liés à la Prestation de Compensation en aide humaine. Elle porte une vision exigeante de l’inclusion à travers des interventions dans des formations, des colloques, des forums, elle a mobilisé des financements de la fondation de France pour accompagner (de 2023 à 2025) des personnes et/ou des structures engagés dans des projets handis-valides.

Le projet d’intégration sociale dans la vie de la cité des personnes handicapées, portée par Main Forte, s’est d’abord consacré à la mise en œuvre d’une solution alternative à la vie en institution: l’habitat inclusif. Ce dispositif existe à Lannion (22) depuis plus de dix ans et a largement évolué. Le mode d’habitat et de vie, collectif dans un premier temps, est devenu davantage individuel. Pour que les activités sociales de ses habitants ne soient pas « spécifiques » ou fragiles et s’inscrivent « naturellement » dans le territoire, Main Forte a étendu son action. Désormais l’association propose son accompagnement à toute personne handie et acteur local afin d’aider à la réalisation et la pérennisation de tout projet d’activité sociale inclusive.

Parallèlement Main Forte apporte son appui « technique » à toute personne, groupe ou association qui entame une démarche similaire.